jeudi 31 août 2017

Le mythe de l’idée originale ou comment tout a été raconté


Bonjour à toutes et à tous. 
J’ai voulu écrire cet article suite à de longues et passionnantes discussions avec quelques auteurs et amis.
En effet, certains se plaignaient de ne pas trouver le pitch de « la mort qui tue », l’idée originale, le concept qui emporterait l’adhésion des lecteurs.
D’autres encore se plaignaient de retrouver des idées qu’ils avaient développées « en grand secret » dans des projets postérieurs aux leurs.
Ils ne parlaient pas toujours de plagiat mais de « coïncidence curieuse et troublante ».
J’ai donc entrepris d’approfondir le sujet sur le net.

Après avoir erré sur des forums et parcouru nombre d’articles souvent très documentés, il faut bien admettre que tous les thèmes, histoires et concepts ne sont que des redites d’anciens films, séries TV, romans, nouvelles, BD, sketchs, courts-métrages, anciens mythes et légendes. Et j’en oublie.
Bref… tout a bel et bien été raconté. Mais c’est le traitement, l’adaptation d’une idée qui va rendre cette dernière originale.
Nous ne sommes que les suiveurs de nos illustres aînés. De tous les créateurs qui ont nourri la littérature et le cinéma de leur génie.

Bien sûr, il y a des univers très originaux, très personnels qui laissent penser que les idées abordées sont totalement novatrices. Mais je suis persuadé qu’en fouillant bien… on retrouve un écho, même lointain, même déformé, dans le long et riche catalogue de la création culturelle.

Je dois préciser que les auteurs des romans, séries TV et BD des années 50 et 60 ont exploré la plupart des thèmes possibles et imaginables (au moins dans le Fantastique et la SF) et donné à nombre de genres leur titre de noblesse. Pour ne citer que quelques séries : La quatrième dimension, Au-delà du réel, Les contes de la crypte. Quant aux romans et leurs auteurs, ils sont trop nombreux pour que je puisse les citer ici.

La liste des œuvres tissant la même trame est infinie pour la personne qui s’amuserait à faire la comparaison. Je vous livre quelques œuvres cultes, connues de tout le monde et devenues des références dans leurs genres :

  • Regardez les fins étonnantes des films Le sixième sens et Les autres. Tout le monde a parlé d’originalité mais beaucoup ont oublié le dernier sketch du film Le sens de la vie des Monty Python. Attention spoiler : On y voit une dizaine de personnes réunies autour d’une table en train de discuter. À la fin du sketch, la Mort rentre dans la maison et révèle à ces derniers qu’ils sont en fait... décédés. Les convives ne le savent pas mais ils ont mangé un plat empoisonné.
  • L’univers onirique et original de Matrix a fait couler beaucoup d’encre et suscité avec raison des millions de fans de par le monde. Mais plusieurs œuvres ont auparavant abordé le thème des univers virtuels. Un épisode de La cinquième dimension : Dreams for sale. Et un épisode d’Au-delà du réel : l'aventure continue : Tempests. Ainsi que plusieurs œuvres littéraires. (Source Wikipédia)
  • En regardant L’ultime souper de Stacy Title (avec la belle Cameron Diaz), quelle ne fut pas ma surprise de constater que Le dîner de cons de Weber se rapprochait beaucoup du concept de ce film : une bande d’amis convient un invité à un dîner pour le faire parler. À la différence du film de Weber, ils le tuent à la fin du repas si ce dernier ne répond pas à leurs idéaux politiques. Et à la fin du film... on se retrouve avec le même retournement de situation que dans Le dîner de cons où l’on voit l’invité prendre une revanche sur ceux qui voulaient se jouer de lui.
  • Le dôme de Stephen King. Je vous invite à relire le roman d’Henri Vernes Les fourmis de l’ombre jaune et vous retrouverez la ville de Paris emprisonnée sous un dôme infranchissable.
  • Cube : on retrouve exactement le même concept dans un épisode de la série La Quatrième Dimension : Five characters in search of an exit.
  • Souvenez-vous du gag culte du premier Indiana Jones dans Les aventuriers de l’Arche perdue : quand Indy est en proie au manieur de sabre. Ce dernier, expert dans le maniement de ses armes, exécute d’une main de maître divers moulinets avec ses sabres. Indy se contente alors de sortir nonchalamment son flingue pour dégommer le tueur avec le plus grand flegme.
Gag culte et irrésistible. Mais on retrouve son pendant dans un épisode de Chapeau melon et bottes de cuir où l’on voit Steed face à un escrimeur visiblement expert dans son art. Ce dernier menace Steed en exécutant quelques expertes figures de style à l’aide de son fleuret. Notre héros, très flegmatique, se contente d'exécuter un petit pas de danse pour ensuite... enlever son chapeau et assommer avec nonchalance son agresseur à l’aide de celui-ci.
PS : je ne retrouve plus le titre de l’épisode. Mon dernier roman 11 serpents sera offert à la personne qui m’apportera la réponse.
  • Terminator. Même thème dans deux épisodes de la série TV Au-delà du réel : Le soldat et La main de verre, mettant en scène un guerrier fuyant le futur et pourchassé par une machine. Ou encore le film de 1966 : Cyborg 2087. « En 2087, les Cyborgs, êtres mi-humains, mi-machines, se révoltent et envoient l'un des leurs en 1960, dans l'intention de changer l'avenir. Source Wikipédia. »
  • Alien affiche nombre de similitudes avec La planète des vampires de Mario Bava. Ou bien encore It! Terror from Beyond Space d’Edward L. Cahn : vaisseau spatial, planète abandonnée et créature extra-terrestre belliqueuse.
  • Autre exemple d’archétype, celui d’Avatar. On retrouve le même thème (une civilisation paisible et en harmonie avec la nature en proie à des envahisseurs guidés par le seul profit) dans nombre de romans, BD et films. Pour n’en citer que quelques-uns : le roman Call me Joe de Poul Anderson, la BD Aquablue de Cailleteau et Vatine.
Et dans une nouvelle publiée dans un Écho des savanes Spécial USA que je viens de relire : Un monde heureux de Rafa Negrete. On y découvre un peuple paisible en harmonie avec son environnement, qui évolue dans des arbres gigantesques et chevauche de gros lézards, des rochers flottants, un cérémonial qui rappelle le tsaheylu, et une « civilisation » technologiquement avancée qui compte bien exploiter la planète des autochtones sans aucun état d’âme.
  • Pour revenir à Poul Anderson, j’ai lu cet été un roman intitulé Tau Zéro. La Terre se meurt et une expédition est envoyée dans l’espace pour trouver une planète d’accueil. Le voyage se passe mal et les voyageurs sont en butte à une distorsion temporelle ce qui fait qu’ils ne retrouveront pas leur planète comme ils l’ont laissée. J’offre mon dernier roman 11 serpents à la personne qui retrouvera le film qui aborde le même thème. NB: le titre du film a été trouvé par Eric: il s'agissait d'Interstellar.
  • Encore un film iconique des années 80 : Rambo. Nombre de similitudes avec le film Seuls sont les indomptés de David Miller. Un ancien vétéran inadapté à la société, arrive dans une petite ville américaine, se retrouve en butte avec un gardien de prison sadique et s’enfuit dans la montagne où il sera pourchassé par la police locale. Fin dramatique comme dans le film de Stallone.
  • La fin cruelle et hallucinante du crépusculaire film Old boy renvoie à la mythologie grecque avec un détournement de la tragédie d’Œdipe.
  • Et que dire de la mésaventure vécue par l’un de mes amis dessinateurs. Un jour il m’appelle, catastrophé, pour me dire qu’un « odieux personnage » avait pompé l’une des créations de son scénariste : un papillon géant aux ailes multicolores mangeur de chair humaine. Je l’ai invité à relire (encore une fois) l’aventure de Bob Morane intitulée Les papillons de l’Ombre jaune.
  • Mon roman Le fossile d’acier. Le train où le wagon abandonné en pleine nature est un archétype du cinéma et de la littérature ferroviaire. Nombre de projets (série TV, cinéma et roman) ont abordé ce sujet. Le plus ancien à ma connaissance étant un épisode de Chapeau melon et bottes de cuir : Balles costumées. Quant à l’élimination progressive de tous les protagonistes de l’histoire, là, les exemples sont légions. Cette trame a d’ailleurs engendré les sous-genres du Whodunnit et du Slasher. J’espère avoir été original dans mon « interprétation ».

On pourrait ainsi multiplier les exemples à l’infini.
Bref, chaque film trouve son reflet quelque part.
Il arrive aussi très souvent que certaines œuvres brassent avec talent plusieurs idées déjà exploitées.
Le paradoxe est que cette mosaïque engendre des œuvres uniques.
Et puis il y aussi les hommages, voulus ou inconscients, rendus aux œuvres cultes qui influencent des générations de cinéphiles et d’auteurs.

Attention, je ne dis pas que le plagiat n’existe pas. Certains n’hésitent pas à reprendre non pas la seule idée originale, qui je le répète, n’existe plus, mais aussi les personnages, l’action, certaines séquences et même parfois certains dialogues en les détournant d’habile façon.
Quel est le contrefacteur qui reprendrait une œuvre en l’état, repompant un projet mot à mot ? Aucun. Seul un œil averti pourra déceler le plagiat. Moralement indéfendable mais juridiquement très difficile à attaquer.

J’avais lu cette observation sur le net (mieux exprimée que par moi) : Le talent d’un auteur est de reprendre une idée mille fois abordée et de la traiter de telle façon qu’elle devienne unique et originale.
Pour terminer, je reprendrai  à mon tour cette célèbre formule qui devrait guider tout auteur en devenir : « Tout a été raconté mais pas par vous. »
Bien à vous
Philippe Saimbert
Articles sur l’édition et les univers de l’auteur. Quiz et albums dédicacés à gagner. Pas de spam.





7 commentaires:

  1. Excellente analyse Monsieur Saimbert. Je vous fais part d'un courriel que j'ai envoyé à un de mes amis suite à l'écoute d'un documentaire sur la télé-série "Game of Thrones" qui viens confirmer exactement ce que vous écrivez: "Et savais-tu que la série Game of Thrones est basée sur la guerre des Roses en Angleterre et en Écosse et que les Lannisters représentent les Lancasters et les Targaryens représentent les Yorks; que Tywin Lannister (le nain) représente Richard le 3ème (roi difforme, Lire Shakespeare) et que la majorité des crimes filmés ont réellement eu lieu dans l’histoire de l’Écosse ou de la guerre des Roses, incluant l’empoisonnement du jeune roi blond cruel, fils de Cersei, lors de son mariage et le souper de sang dans lequel le fils Stark se fait assassiner… lors de son mariage. Tout du vécu dans l’histoire." Bref, oui, toutes les histoires ont été racontées simplement race que les humains répètent éternellement les mêmes actes. Le vrai talent se situe dans la façon de raconter ces histoires. Et c'est votre talent et nous l'apprécions à chaque page de vos livres que nous tournons.

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    1. Philippe Saimbert4 septembre 2017 à 00:14

      Merci pour votre pertinente analyse et toutes les précisions sur l'excellente série "Game of thrones".

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  2. Passionnante analyse, bravo et merci.
    Tau Zéro : Interstellar ?

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    1. Félicitations Eric. Il s'agissait bel et bien d'Interstellar. Veuillez me contacter par email pour me donner votre adresse postale. Bien à vous.

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  3. J'aimerai tellement qu'il reste des choses à raconter.
    Nous parlons ici de littérature, mais dans la musique, dans les années 60, il y a eu le rockn'roll !! dans les années 80 le Disco, et plus récemment le Rap. Ces musiques là avaient elles été racontées, ou ont-elles été quand elles sont apparues de toteles nouveautés dans l'Histoire de la musique ?
    J'aimerai croire qu'en Littérature ce soit la même chose. est-ce que je me trompe ? je pense à la série "La Tour sombre" de Stephen King. Une saga de 6 ou 8 bouquins, avec un fin unique à mon humble avis. A la fin du dernier livre, l'auteur ajoute une postface, où il nous dit :"Voilà, l'histoire est terminée, et c'est bien comme ça. Mais j'ai ajouté une vingtaine de pages, je vous déconseille de la lire." Evidemment je l'ai lu et bonjour le coup de massue. Je n'ai pas assez lu, mais ce procédé est il unique dans la littérature ? est-ce que S King ne raconte pas ici qqe chose de totalement nouveau ? Aussi, dans la même série, le personnage principal "le Pistolero" dans un voyage temporel se rend à la (vraie) maison de l'auteur (S King) et, la nuit, à travers une fenêtre éclairée, nous décrit l'auteur en train de cuisiner, description sans complaisance. Est-ce que ça avait été raconté avant ? un personnage de fiction qui décrit et rencontre l'auteur véritable dans le roman écrit ^par l'auteur... (bon, dur de s'y retrouver :-) . Merci encore Philippe Saimbert pour vos romans. J'ai beaucoup aimé le dernier, les 11 serpents. J'aimerai avoir votre talent et votre imagination. Au plaisir de vous rencontrer dans un salon du livre. Cdlt. Margot B.

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  4. Philippe Saimbert3 septembre 2017 à 23:53

    Bonjour Margot et merci pour votre réponse, longue, argumentée et passionnée. Je vous rassure, il reste des millions d'histoires à raconter. Il en va de même dans la musique. Les guitaristes arrivent à créer des mélodies inoubliables et originales... avec des accords maintes fois utilisés. Pour revenir à "La tour sombre", une série de comics "The Rook" présente des similitudes avec cette oeuvre. Mais Stephen King est un maître et a su en faire une oeuvre unique.

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  5. Joli article sur les leurres de l'inventivité !
    On retrouve la même chose dans tous les arts et même en sciences dans une certaine mesure.
    Je m'étais intéressé il y a quelques temps à la figure mythique de Léonard de Vinci. En partant du même postulat que toi j'ai fini par découvrir une émission très intéressante dans la série des Dossiers Secrets sur National Geographic qui démontrait que les grandes inventions de notre génie européen avaient également des sources. Comme tout inventeur, il a poursuivi un processus ou une idée en la réactualisant, en l'affinant, mais je suis comme toi, je suis persuadé qu'aucun cerveau humain, même parmi les plus brillants, ne peut pas imaginer quelque chose sans un support de réflexion. Le "Créateur" est un mythe, par contre il existe d'excellents créatifs qui utilisent avec pertinence les connaissances et les productions de leurs prédécesseurs et c'est déjà une qualité qui n'est pas commune.
    Le mythe divin du créateur s'explique, à mon sens, par le culte de l'individualité conjointement à l'effacement de la transcendance mystique (l'un entraînant l'autre). L'Homme doit croire en quelque chose de "magique" pour rendre son univers plus attrayant, ou simplement l'aider à rêver...

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